La virginité consacrée dans les compositions de sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179) |
Programme
du concert |
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I. – L'EPOUX ET
L'EPOUSE O
Jerusalem.........................................séquence
pour la fête de s. Rupert
Splendeur
de la Jérusalem céleste, splendeur de la
sainteté
Favus
distillans.................................répons
pour les matines de s.UrsuleInspiré du Cantique des Cantiques,
à Ste Ursule
II. – L'ESPRIT-SAINT O
Successores.....................................antienne
pour l'office des Apôtres
Pièce en premier mode, jouée aux
instruments
Spiritus Sanctus...................................................antienne
à l'Esprit-SaintEsprit-Saint principe de la chasteté
III
– LES SAINTS O
viriditas digiti....................................répons
des matines de s. Disibod
Invincibilité de l'âme vierge
O dulcis
electe............................................répons
des matines de s. JeanS. Jean, l'apôtre vierge
O speculum...............................................antienne
pour la fête de s. JeanS. Jean, et la virginité contemplative
O pulchrae facies.......................................antienne de l'office des viergesBeautés reflétées de Dieu
O rubor sanguinis.................................antienne
pour la fête de s. UrsuleLes onze mille vierges martyres
IV – L'EGLISE O
virgo Ecclesia...............................antienne
pour la Dédicace des églises
Epouse mystique et virginité
spirituelle dans le
sein de l'Eglise
O Orzchis Ecclesia..........................antienne
pour la Dédicace des églisesVertus de l'Eglise
V . LA VIERGE MARIE O
frondens virga.........................................................antienne
à la Vierge
La Vierge, fleuron de la création
O
virga mediatrix.............................................................................alleluia
Le Corps sainte Marie
O
splendidissima........................................................antienne
à la Vierge
Joyau splendide
O virga ac diadema.....................................................séquence
à la Vierge
Dignité royale
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Présentation
du programme |
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Sur
la fécondité des terres basses et des marais, sur cette vaine fécondité
de l'être aptère et multiple, il faut que se dressent des rocs de
virginité,
d'inutilité des sommets déserts comme des tombes. Nulle vie ne hante
leurs
flancs ; mais les étoiles naissantes ou déclinantes se posent
sur eux
avant d'envahir ou de quitter le ciel ; ils aiguillonnent
l'aurore et
retiennent le crépuscule ; ils sont les gardiens du passé et
les messager
de l'avenir. A la plaine grouillante de travail, de dispersion et de
fièvre,
ils offrent l'unité d'un point de repère éternel, et le vent salubre et
l'eau
vierge.
Gustave Thibon
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Sainte Hildegarde de Bingen a composé une musique sublime qui à la fois résume parfaitement l'esthétique médiévale et à la fois en porte l'éclat jusqu'aux limites de ses propres canons. Ce paradoxe – apparent – n'est qu'un des nombreux paradoxes qui caractérisent le personnage inclassable et néanmoins tellement "médiéval" d'Hildegarde de Bingen. C'est que la moniale bénédictine échappe invariablement aux réductions de l'analyse. En cela même Hildegarde de Bingen est bien de son temps – tout comme elle est de l'éternité ! Elle est la protégée du Pape Eugène III qui fait publiquement l'apologie de ses visions au synode de Trèves, elle est la conseillère virulente de l'empereur Frédéric Barberousse qui s'entend remettre à l'ordre par cette petite cloîtrée, elle est la confidente de saint Bernard de Clairvaux qui lui intime l'ordre de ne plus garder pour elle ses visions... Malgré tant de notoriété, malgré les prédications à la cathédrale de Cologne, la correspondance avec le Pape, et l'amitié du grand saint Bernard, malgré aussi de nombreuses activités relevant des contingences parfois très prosaïques du gouvernement d'un monastère (médecine, cuisine, herboristerie…), Hildegarde n'aura jamais eu plus de sollicitude que pour préserver à ses filles le cadre privilégié de la virginité consacrée selon la lettre et l'esprit de la Règle de saint Benoît. C'est que la virginité des cloîtres est beaucoup plus que la chasteté. Voilà donc la grande affaire d'Hildegarde, voilà les noces à chaque instant renouvelées, voilà aussi la grande sollicitude d'une Mère Abbesse – sa maternité spirituelle – auprès de ses filles. La virginité, c'est la pure disponibilité à tout recevoir de Dieu. C'est par là la joie de la Caritas et son plein épanouissement dans le cœur de l'homme. C'est la pure, la vraie, la grande liberté de l'Amour, tant envers Lui, qui est le seul, qu'envers elles toutes, qui sont à Lui et qui sont ses filles. Quand on a dit cela, on a probablement tout dit du cœur d'Hildegarde – l'essentiel du moins qui réduit pour le coup tous les paradoxes en une seule réalité quotidiennement poursuivie : l'amour du Bien-Aimé. La métaphore du Cantique des Cantiques est ici un modèle qui ordonne jusqu'au moindre geste, la moindre pensée, la moindre nervure du cœur et de l'âme. Or si, comme l'écrivit saint Augustin, la mesure de l'amour est d'aimer sans mesure, voilà le paradoxe de sainte Hildegarde expliqué ! Sur un tel terreau, l'inspiration musicale et littéraire de la moniale s'est épanouie au-delà de toute espérance. La Virginité est le thème par excellence chanté par Hildegarde à travers toute son œuvre. Et notons-le bien, la sainte moniale ne le chante pas sous l'angle moral où le sujet se regarderait lui-même dans le rôle de la vierge consacrée, mais bien sous l'angle mystique où le sujet s'oublie et "se perd" plus qu'il ne se cherche. Le sujet, qui contemple de la terre, se perd dans les modèles accomplis du Ciel : le Fils Bien-Aimé d'abord, qui est vierge dans la solitude métaphysique de l'union des deux natures divine et humaine ; la Vierge Marie ensuite, vierge par excellence et par là mère féconde, mère de Dieu selon l'humanité ; l'apôtre vierge, saint Jean, modèle de la charité d'élection ; sainte Ursule, prosélyte de la virginité auprès de onze mille compagnes ; saint Disibod, le moine irlandais évangélisateur; saint Rupert, l'ermite fondateur du monastère de Bingen …autant de manières propres à décliner le même amour, et cela sur la lyre des antiennes, hymnes, "symphonies" de voix et d'instruments, au fil du grand poème de l'année liturgique. Et qu'en est-il de l'aspect proprement musical ? La musique, chez Hildegarde, est elle aussi une vierge qui veille son Epoux : elle est parfaite disponibilité à recevoir le mot et enfanter le verbe. Là encore le dessin des compositions est au-delà des modèles traditionnels de l'analyse et les mélodies sont pure liberté – non pas fantaisie ni caprice – liberté de dire pleinement la Parole ! C'est que la vierge Hildegarde ne compose pas ses musiques. Simplement, elle les reçoit de Dieu. |
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©
Bertrand Décaillet |
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