Florilège de monodies pascales entrelacées de polyphonies renaissantes, dans l’esprit de cette joyeuse fresque printanière de fra Angelico où, sur le pan droit du Jugement Dernier, la sainteté s'est mise à danser; musiques qui emboîtent spontanément le pas à la Vie, lorsque, ce matin-là, la Grâce farandole sur un parterre de fleurs devant le tombeau vide. |
Programme
du concert |
||||
Salve festa dies......................................................................................................................
grégorien
Hymne
pour le jour de
Pâques
Dum transisset
Sabbatum (SATBB).............................................. John
Taverner (1498–1545)
répons des Matines de Pâques
Maria Magdalenae ..............................................................................................................
grégorien
répons des Matines de Pâques
Congratulamini mihi (SATB)..................................
Jacobus
Clemens non papa (1510-1557)
répons des matines de Pâques
Tulerunt Dominum ............................................................................................................
grégorien
répons des Matines de Pâques
Dilectus meus (SATB).........................................................
Pierre
de Manchicourt (1510-1564)
motet
Les 5 antiennes du jour de Pâques & les 7
ant. à Benedictus de l'octave ........
grégorien
antiennes de laudes et vêpres de
Pâques
Ego flos campi (SATTB).................................................................Nicolas
Gombert (1500-1557) motet
O Filii et filiae.......................................................................................................................
grégorien
Hymne
Sicut lilium inter spinas
(SATB).........................................................
Palestrina
(1525 – 1594)
motet
Ego sicut vitis.......................................................................................................................
grégorien
répons des Matines de Pâques
Mane nobiscum
(SAATB)..................................................................................
Jacobus
Clemens
motet
|
||||
Présentation
du programme |
||||
Venez,
mon bien-aimé, descendons dans le jardin !
|
||||
L'Histoire Sainte commence au jardin, et ce n'est pas un hasard. De la terre surgit le premier homme, tandis que Dieu souffle sur la glaise et le fait à son image et à sa ressemblance. Cependant, le péché chasse l’homme de l'Eden. Avec la première désobéissance, c'est toute la nature qui perd cette beauté première et innocente par laquelle, sortant des mains de Dieu, elle disait sans effort et spontanément l'éclat du Créateur. Dès lors, le jardin sera fermé et la nature deviendra laborieuse voire même franchement hostile. L'homme devra peiner et travailler pour tâcher d’en tirer son pain. Pour le poète seulement, elle gardera – au-delà de ses terreurs, ses épines et ses caprices – quelques douceurs et le souvenir avoué du jardin d'antan, prérogatives d'une œuvre divine qui chante tout au long du jour les louanges de son Créateur, lorsque le regard s'y arrête et consent lentement à une certaine profondeur. C'est d'ailleurs au jardin de ce souvenir de l'innocence première, que le Christ lui-même cueillera les plus belles images du Royaume des cieux : la vigne et le vigneron, la bonne terre, le grain en terre, les lys des champs, le figuier stérile, le trésor dans un champ, la moisson, les ouvriers de la dernière heure, le grain de sénevé, le sycomore, le jardin des oliviers, le juste planté près des rives, le cèdre, l'hysope, la fleur de froment, le blé, le cep et les sarments... C'est en elle aussi, au cœur de son intimité silencieuse que le Fils de Dieu aimera à se retirer pour prier le Père. Elle sait d'ailleurs épouser les sentiments de son cœur, tantôt confidente privilégiée lorsque la ramure des oliviers efface les pâleurs d'une lune étrange au jardin d'agonie et que tous les amis l'ont quitté, tantôt confidente maternelle telle un cloître ou une citadelle de silence, lorsque le Fils de Dieu fuit dans la montagne, loin de la demeure bruyante des hommes, afin d’échapper à la gloire ou la haine, et prier là son Père - qui est dans les cieux. Il faudra bien pourtant que le grain meure et tombe en terre et que cette nature s’efface tout à fait, le temps d’un hiver et d’une nuit en plein jour, afin de livrer son fruit. Il y eut un jour, il y eut un matin, et il se fit, sur la terre, dans la terre, un silence infini de trois jours veillés par des gardes en armes. Marie-Madeleine vint alors, la première au tombeau. Les gardes n'y étaient plus et le tombeau était vide. Tandis qu'elle pleurait, elle aperçut un jardinier. Il doit bien le savoir, lui, où a été enlevé le corps du Seigneur : dites-moi où vous l'avez mis et j'irai le chercher. Marie-Madeleine, celle qui toujours pleure, ne s'est pas vraiment trompée en le considérant à travers le rideau de larmes. Car le Christ, depuis ce matin-là, est un jardinier plein d'une sollicitude extrême à veiller la jeune pousse fragile et délicate sous le soleil de la Grâce de la nouvelle Création. Tout avait été patiemment apprêté et il venait d'ouvrir à nouveau délicatement la porte de l'Eden, le travail était fait et il attendait qu'elle vienne, et elle est venue. Depuis toujours, il attendait le retour de la pécheresse, et enfin elle est venue. Ah ! vous voilà, Marie – Maria ! Raboni, Maître ! s'écrie-t-elle, car elle le reconnaît aussitôt. Et c’est une nouvelle nature, une nature ressuscitée, transfigurée, qui surgit alors de la terre sous le souffle de Dieu et spontanément trouve son Jardinier. L'homme désormais sera cette riante nature arrosée par les eaux de la Grâce, épanouie au Soleil de justice venu d'en haut et façonné dans la "maîtrise" du plus grand amour. Or si les racines de cette nouvelle vie continuent de plonger dans le prosaïque quotidien en informant avec avidité l’ici-bas, la fleur, elle, déborde par en haut la perspective du regard humain. Ce n'est qu'au Ciel que la ramure de la grâce pascale épanouit ses pétales, son parfum et son fruit. Entre
les deux – entre ciel et terre – tenant de l’un et de l’autre,
étant à la fois la poésie des choses et de l'au-delà des choses, se
dresse
alors la louange sacrée, dont l'analogie déploie vers la terre ses
racines
tandis que sa frondaison dans le Ciel. C'est l'homme, corps et âme, qui
est
racheté, et l'art en sera magnifiquement évangélisé ! Par la
louange de
Dieu, office des anges confié aux hommes, la métaphore filée du Jardin
perdu
non seulement a été retrouvée, mais elle est allée jusqu'à anticiper à
la terre
la joie du ciel, déployant si bien la saveur du paradis que les anges
eux-mêmes
viennent fouler son parterre de fleur et goûter ses senteurs. Il
vous
précèdera en Galilée, dit dans un bruissement de pétales et
de linceul
l'ange de Pâques : non pas au Ciel, en Galilée ! En devenant
une image
privilégiée et peut-être même exclusive du mystère de la vie de Dieu
lorsqu'il
se donne à une âme, la nature printanière - le jardin autour du
tombeau, la
fleur de reverdie et le blé de Fête-Dieu - acquiert un statut qu'aucun
naturalisme,
et jusqu'au plus cupidement charnel, n'aurait jamais osé revendiquer. Aucun, sauf peut-être une exception, une seule : la métaphore du Cantique des Cantiques, fleur de rhétorique sacrée qui semblait si audacieuse, et qui de fait l'était encore bien peu avant que l’Epoux ne se relève effectivement de la mort. Oh oui ! l’audacieuse métaphore, avec son jardin clos, son baiser, ses vignes, son cellier, ses aromates, ses figues et grenades, son troupeau à garder, ses collines et ses prairies, son lit d’où l’on voit les solives du toit, sa tourterelle, sa colombe, ses biches, ses treillages par lesquels le Cerf nous épie, les fruits des vallées, son cèdre… et Marie-Madeleine, portant le linceul blanc et les aromates, qui est venu tenir le rôle de l’humanité pécheresse et repentie, au jardin perdu et retrouvé. C’est elle qui nous représente alors, dans ce premier matin du jour éternel, elle que John Taverner, Clemens non papa, Pierre de Manchicourt, Nicolas Gombert, Giovanni Pierluiga da Palestrina… ont suivi, recueillant derrière elle les fleurs échappées de son bouquet, tandis qu’elle court - trop vite - au Bien-Aimé. C’est elle, oui, l’épousée du Cantique, qui était tout cela et l'avait perdu, s'étant égarée. Et dans le cœur du Bien-Aimé désormais, elle passera infiniment les images du Cantique, le salaire du sépulcre et la promesse des fleurs. |
||||
© Bertrand Décaillet | ||||
|